: Reportage "La voiture devient un produit de luxe" : dans un garage de Vendée, les clients grondent et le tout-automobile bat de l'aile
Aux Herbiers, la dépendance des habitants à la voiture thermique est remise en cause par l'envolée des coûts d'entretien et de carburant. Des alternatives moins polluantes se développent doucement.
Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.
Il déboule dans l'atelier avec un grand sourire, inhabituel en pareille circonstance. Victime d'un accrochage après le refus de priorité d'un automobiliste, le client interpelle le garagiste. Il va lui falloir un nouvel enjoliveur. La roue a souffert, mais lui est ravi d'être là. Il a 69 ans et n'est autre que Daniel You, l'ex-patron de ce garage des Herbiers (Vendée), qu'il a fondé en 1976 et qui porte son nom. Une dizaine d'années après avoir passé la main, le retraité semble avoir encore assez de jus pour redémarrer une batterie à plat. Il carbure à la fierté de voir son ancienne entreprise lui survivre.
Dans ce coin du bocage vendéen, loin du littoral et des grands centres urbains, la voiture est perçue comme un bien de première nécessité. Aux Herbiers et dans les communes alentours (30 000 habitants), la moitié des ménages possèdent deux véhicules, selon les derniers chiffres officiels. "On a un taux de chômage de 4,1%, l'un des plus bas de France. Chacun a besoin de sa voiture pour se rendre au travail", justifie la maire divers droite, Véronique Besse. Le quatre-roues serait même un marqueur identitaire, selon cette proche du souverainiste Philippe de Villiers.
"Le Vendéen est très indépendant, il aime sa liberté, et donc sa voiture."
Véronique Besse, maire divers droite des Herbiersà franceinfo
Sous le hangar du garage You, pourtant, on commence à toussoter. L'activité est bonne, mais la voiture thermique voit son règne contesté. Trop chère, trop polluante, elle se ringardise à petit feu et doit laisser du terrain à d'autres modes de transport plus vertueux. "Les petits garages, on est mal", glisse l'unique salarié, Benoît Villeneuve, âgé de 35 ans. Les ennuis ont déjà commencé.
"Des clients heureux comme Daniel, on n'en voit pas tous les jours", sourit Fabien Danard, qui a repris le garage à son patron en 2008. "Généralement, les gens n'aiment pas venir chez nous", confirme Stéphanie Danard, son épouse, qui gère l'administratif. Rien de personnel, juste une histoire de budget. Depuis la montée en puissance de l'électronique, les as de la mécanique ont perdu de leur magie et les factures ont pris du poids. "On ne répare presque plus, on remplace", déplore le couple de quadras, en première ligne pour affronter les réactions de la clientèle.
"Les gens viennent chez moi et font la gueule. 'C'est cher', 'J'en ai marre de te voir'... A la longue, c'est usant."
Fabien Danard, gérant du garage Youà franceinfo
Pendant qu'il retape une Volkswagen Polo sauvée de la casse, le garagiste jette un coup d'œil dans le rétroviseur. "Jusque dans les années 1990, les clients étaient moins regardants. Si tu voulais une voiture, tu passais, on regardait un peu et on topait. C'était la belle époque, il y avait du pouvoir d'achat. Maintenant, pour la moindre bricole, c'est un devis. La voiture devient un produit de luxe."
Assise sur un fauteuil en cuir jaune, dans le hall, Sophie attend de récupérer sa Volkswagen Golf. "Apparemment, la valve de pneu serait percée", a-t-elle expliqué, hésitante, en entrant. "D'habitude, c'est mon mari qui gère ça, mais il travaille. La voiture, cela ne m'intéresse pas. Pour moi, c'est un gouffre financier." Pas question pour autant de lâcher la voiture. "J'en ai besoin pour déposer mes enfants et arriver à temps au travail, explique la cliente de 35 ans. Je pourrais le faire à pied, on est en centre-ville, mais il faudrait se lever encore plus tôt."
"J'ai choisi la facilité plutôt que l'exemplarité."
Sophie, cliente du garage Youà franceinfo
Son mari, lui, passionné de mécanique et de vitesse, est de ceux qui affichent leur réussite au volant de beaux bolides. "La voiture reste un objet de prestige, commente Fabien Danard. J'ai toujours des clients qui préfèrent avoir une grosse bagnole et manger des patates toute la semaine."
Le coup des prix à la pompe
Une Audi blanche s'arrête devant le garage. Le conducteur s'aventure jusqu'à l'atelier pour un problème de voyant moteur, alors qu'il vient d'acheter cette berline en seconde main. "Je suis resté sur du diesel, vu que cela consomme moins et que je fais 110 km par jour pour aller au travail, explique Christopher, éducateur spécialisé de 35 ans. J'avais envie de passer à l'électrique ou à l'hybride, mais c'est trop cher."
"Avec la hausse des prix des carburants, comme d'autres collègues, j'ai commencé à chercher un travail plus proche de chez moi."
Christopher, client du garage Youà franceinfo
Parmi les clients, plusieurs ont sauté le pas de l'électrique. Cyril s'apprête à débourser 24 500 euros pour une Peugeot e-208 d'occasion, comme il l'explique pendant que le garagiste lui rafistole gracieusement sa remorque. "On a fait ce choix par rapport au prix du carburant et par souci écologique", défend ce professeur de SVT, devant Daniel You, resté dans les parages, pas convaincu.
"J'en avais pour 40 euros mensuels à la pompe. Avec l'électrique, ça me reviendra à 7 euros de recharge par mois.
– Oui, mais votre batterie, elle va tenir combien de temps ? Vous avez une garantie de huit ans, et après ? L'électrique, je n'y crois pas."
Dans son bureau vitré, Stéphanie Danard voit défiler des automobilistes déboussolés. "Les gens ne savent plus s'ils doivent acheter une essence, une diesel, un kit bioéthanol... Nous, on sait juste qu'on n'a pas les moyens de passer à un véhicule électrique pour nous-mêmes." Les gérants, qui habitent à 20 km de là, s'accrochent à leurs vieux diesels, un par tête. Avec leurs garçons de 16 et 18 ans, ils ont maintenant quatre voitures à la maison.
Une lente transition vers les mobilités douces
Sourire en coin scotché au visage, Benoît Villeneuve attrape un essuie-tout et s'éponge le front. Les premiers rayons du printemps réchauffent la toiture de l'atelier. Pause vidange avant le gros morceau de l'après-midi : remplacer le capot et le pare-chocs d'un véhicule qui a foncé dans une jardinière. A la radio, entre deux chansons, une publicité automobile se termine par l'une des mentions désormais imposées aux constructeurs : "Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo."
Amateur de vélo, le mécanicien pédalerait bien jusqu'au travail, à une douzaine de kilomètres de chez lui. "Mais la route est une ancienne nationale, une grande ligne droite avec des camions qui t'aspirent. C'est trop dangereux."
"Si j'habitais en ville, c'est clair, je n'aurais pas de voiture. Rouler n'est pas un plaisir pour moi."
Benoît Villeneuve, salarié du garage Youà franceinfo
Passionné de mécanique depuis son premier vélo, passé au scooter à 14 ans et à la voiture à 18 ans, le trentenaire juge "dépassé" le culte de la voiture comme signe de richesse et de virilité. "D'ailleurs, le tuning, on n'en voit plus ici. La voiture est de moins en moins une dépense plaisir." Certains de ses amis se sont mis au covoiturage. Lui attend des pistes cyclables sécurisées.
A l'écoute des aspirations des cyclistes, la communauté de communes du pays des Herbiers prévoit d'investir environ 400 000 euros par an jusqu'en 2030 pour créer plusieurs pistes cyclables. En mai, elle lancera aussi un service de location de longue durée de vélos électriques, permettant aux habitants de tester ce mode de transport avant un éventuel achat subventionné. Le potentiel est vaste : 60% des actifs locaux travaillent à l'échelle de l'intercommunalité. Parmi eux, presque tous circulent en voiture, seuls à bord, alors que les distances parcourues sont souvent accessibles à vélo.
"Il y a un changement d'état d'esprit à l'égard du vélo, qui représente aussi un atout santé."
Véronique Besse, présidente de la communauté de communes du pays des Herbiersà franceinfo
Convaincue que "l'heure de gloire de la voiture est passée", l'opposition écologiste salue ces avancées. Elle soutient aussi le projet de réouverture de la gare locale, qui pourrait reprendre du service jusqu'à Cholet (Maine-et-Loire) dans quelques années, avec une halte au célèbre parc du Puy-du-Fou, voisin des Herbiers. En revanche, elle déplore le refus de la majorité de droite de considérer la mise en place d'un réseau de bus urbain. "De plus petites villes vendéennes comme Luçon ou Fontenay-le-Comte s'y sont mises", souligne Joseph Liard, élu de gauche.
Quelle place pour le garage You dans ce futur paysage ? "Dans douze ans, c'est fini, je prends ma retraite si je peux", prévient Fabien Danard. Ce passionné de vieilles voitures soufflera ses 60 bougies juste avant l'interdiction annoncée de la vente de véhicules thermiques neufs dans l'UE, prévue pour 2035. D'ici là, pas sûr qu'il suive l'électrification du parc automobile, synonyme de gros investissements pour les garagistes.
A ses débuts, le garage You fascinait. A l'entrée, une voiture trônait sur un plateau tournant, "comme dans les salons". Désormais, trois vieilles Golf de collection dorment sur le carrelage, à côté d'un piano usé et de décorations vintage. La radio de l'atelier est branchée sur Nostalgie. Le grand hall prend, déjà, des airs de musée.
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